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Ces étonnants cristaux qui n’existeraient pas sans l’homme

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Cristal de georgiadèsite des mines grecques du Laurion. © Christian Rewitzer.

PETIT à petit, l’idée que la Terre est entrée dans l’anthropocène fait son chemin parmi les chercheurs. L’anthropocène, ce serait une époque géologique dominée par les activités humaines. Par notre action sur l’environnement et notamment sur le climat, nous bouleversons en effet les couches supérieures de cet oignon qu’est notre planète : l’atmosphère, la surface de la Terre – que ce soit la biosphère, le sol, les océans, les glaciers et calottes glaciaires – et le sous-sol le plus immédiat. Les outils que nous avons utilisés pour cela s’appellent agriculture, urbanisation, exploitation minière, énergies fossiles… Quand notre impact se remarque à l’échelle d’une planète entière, quand nous constatons que nous réchauffons le climat, que nous acidifions les océans, que nous provoquons la disparition rapide de nombreuses espèces vivantes, que nous perturbons des phénomènes géologiques majeurs tels que l’érosion ou le transport de sédiments, que nous jouons sur des grands cycles naturels comme celui du carbone, alors nous mesurons notre puissance.

L’anthropocène n’a pas encore été adopté officiellement par les plus hautes instances internationales de la géologie et les spécialistes ne sont pas tous d’accord sur la date à laquelle il faudrait la faire commencer – débuts de l’agriculture, de la révolution industrielle, de l’ère atomique figurent parmi les propositions – mais force est de constater que les traces de notre passage sur Terre seront encore visibles dans un futur lointain. Si, dans quelques millions d’années, d’hypothétiques géologues cherchent les traces minérales qu’a laissées Homo sapiens, ils découvriront bien sûr quelques beaux fossiles mais aussi, comme l’explique une étude américaine publiée dans le numéro de mars de l’American Mineralogist, des cristaux naturels nés, pendant l’anthropocène, de l’activité humaine : notre emprise sur la Terre est telle que celle-ci en conçoit des minéraux qui n’existeraient pas sans nous…

Altération de résidus miniers

Le sujet est fascinant parce qu’il souligne que nous créons sans le savoir les marqueurs minéraux de notre présence. L’essentiel de ces cristaux que l’on pourrait qualifier d’anthropiques sont nés dans les mines et dans les carrières. Ils sont issus de l’altération de résidus miniers, de la mise à l’air libre ou de l’exposition à l’eau de minéraux que nous extrayons (ou des déchets qui les accompagnent…). Un des sites les plus anciens et les plus réputés pour ces minéraux d’un genre nouveau est le massif du Laurion, en Grèce, exploité pendant l’Antiquité pour des métaux comme l’argent ou le plomb. Ainsi, lors de la séance du 11 novembre 1907 à l’Académie des sciences, MM. Lacroix et De Schulten présentaient un nouveau cristal découvert sur des « scories, riches en plomb métallique », qu’ils allaient appeler giorgiadèsite (voir la photographie qui ouvre ce billet), en hommage à M. Giorgiades, directeur des mines du Laurion. D’autres minéraux peuvent aussi se former lorsque des éléments dissous dans les eaux de mines précipitent (comme la rauenthalite sur la photo ci-dessous, qui « fleurit » sur les parois de mines) ou bien au contact de tubes de forages géothermiques.

Cristaux de rauenthalite. © Peter Haas.

D’autres cristaux ont des modes de formation plus étonnants encore. Ainsi, sur la photo ci-dessous, on distingue de l’abhurite qui ne se forme que par le passage de l’eau de mer sur des lingots d’étain. C’est pour cette raison que l’on ne trouve ce minéral qu’à l’occasion de la fouille d’épaves… Autre curiosité exotique, la calclacite, que l’on détecte uniquement… dans les musées. Pourquoi ? Parce qu’elle apparaît sur les roches ou les fossiles posés sur des étagères en bois, suite à la réaction de l’acide acétique contenu dans le chêne avec les atomes de calcium et de chlore inclus dans ces spécimens. D’où son nom de « calclacite », composé avec le « cal » de calcium, le « cl » de l’atome de chlore et le « ac » de l’acide acétique…

Cristaux d’abhurite découverts dans une épave. © J. I. G. Roland.

L’étude recense ainsi un total de 208 minéraux qui n’existeraient probablement pas sans nous. Les auteurs précisent que certains d’entre eux ne mériteraient pas le nom de minéraux si on les découvrait aujourd’hui car les critères pour obtenir ce label ont été rendus plus stricts au cours des années 1990 par l’Association internationale de minéralogie. Sont ainsi exclues toutes les « substances anthropogéniques » et celles qui, même nées à la suite de processus géologiques classiques, sont apparues par la mise en contact d’éléments naturels avec des produits faits par la main de l’homme, que ce soit les étagères en bois de la calclacite, les lingots d’étain de l’abhurite ou des effluents industriels. En revanche, méritent le titre de minéraux les composés qui se forment naturellement suite à la modification de l’environnement par Homo sapiens. L’ironie de l’histoire, comme le souligne innocemment l’article de l’American Mineralogist, c’est que les « produits humains ont des chances de survivre bien plus longtemps que la plupart des minéraux nés de la médiation indirecte de l’homme ».

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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